Avec les "échecs Freestyle", Magnus Carlsen tente une révolution
Lassé par le circuit classique et soutenu par un mécène, le Norvégien Magnus Carlsen, star des échecs dont il est depuis dix ans le meilleur joueur, est la figure de proue d'un mouvement qui veut impulser de nouvelles compétitions.
Assisté par le riche entrepreneur allemand Jan-Henric Buettner, Magnus Carlsen, 33 ans, veut remettre en lumière une variante du jeu, les échecs 960. Le grand maître le plus célèbre de l'histoire, l'Américain Bobby Fisher, en était notamment fan.
Dans les échecs 960, les règles sont identiques. Mais la position de départ des pièces, qui sont situées derrière la rangée des pions comme le roi, la dame ou les tours, est choisie aléatoirement parmi quelque 960 combinaisons possibles. Il est donc inutile pour les joueurs de tenter de mémoriser par cœur les premiers coups de chaque partie, comme actuellement dans les échecs. Les organisateurs promettent des parties plus ouvertes avec plus d'erreurs et de rebondissements.
Cette variante "est une petite révolution. Cela met en l'air toutes les théories de jeu que l'on apprend. C'est intéressant mais aussi difficile car cela nous sort de notre zone de confort", explique à l'AFP la joueuse géorgienne Keti Tsatsalashvili.
Si la variante se diffuse largement, cela pourrait selon elle transformer le monde des échecs autant que les nouvelles pratiques sur internet qui se sont développées au moment de la pandémie de Covid-19, avec la montée en puissance du tournoi en ligne avec plus de dotations.
- Comme l'ATP -
Mais ce n'est pas la seule innovation apportée par Magnus Carlsen: les tournois se disputent en deux temps avec des qualifications puis des phases finales en élimination directe et les temps de jeu sont réduits.
Le Norvégien, qui pèse 17 titres de champion du monde toutes cadences confondues, critique depuis longtemps les formats actuels, notamment les parties longues pour le titre le plus prestigieux.
Il a volontairement abandonné son titre mondial en 2022 et a refusé de participer au tournoi des Candidats qui doit désigner en avril le challenger de son successeur, le Chinois Ding Liren.
Pour construire sa révolution, Magnus Carlsen a convié huit des meilleurs joueurs du monde en février pour un tournoi en 960 à Weissenhaus (Allemagne), dans une luxueuse propriété de son mécène.
Mi-mars, il est passé à la vitesse supérieure et a annoncé un circuit avec cinq tournois entre fin 2024 et 2026. Les 25 meilleurs joueurs en activité au classement mondial ont été conviés et ont répondu favorablement, sans doute attirés aussi par les dotations bien supérieures que sur des tournois classiques, avec l'ambition de monter à un million de dollars en jeu sur les derniers tournois.
L'objectif est de les rendre "commercialement aussi réussis que l'ATP pour le tennis" a décrit son sponsor allemand dans un communiqué.
- Quel public ? -
Le mouvement se fait en marge du circuit officiel, géré par la Fédération internationale des échecs (Fide).
"J'ai appelé plusieurs fois Jan-Henric Buettner et nous sommes partis sur de bonnes bases pour, je l'espère, de futures coopérations. Nous sommes encore en discussion", a déclaré à l'AFP Emil Sutovsky, le président de la Fide. "C'est bien d'avoir de nouvelles énergies, cela fait progresser tout le monde."
Malgré les moyens tant financiers que techniques mis en place, le Freestyle Chess doit encore faire ses preuves auprès des amateurs d'échecs.
"En écoutant une compétition 960 de loin, même moi j'avais parfois un peu de mal à suivre", explique Keti Tsatsalashvili, qui a figuré parmi les cent meilleures joueuses du monde.
"Je trouve que le jeu est plus compliqué que les échecs, ce qui peut être rédhibitoire pour les débutants", confirme Kévin Bordi, animateur de la principale chaîne d'échecs en France sur internet, Blizstream.
"En amoureux des échecs classiques et voyant que depuis des années on manque de bons formats, je suis heureux d'avoir ces personnes-là mais je me dis aussi qu'avec autant d'argent et de bonnes idées, c'est dommage de ne pas passer par la case échecs", dit-il.
(V.Sørensen--DTZ)