JO-1992: trente ans après, que reste-t-il des Jeux d'Albertville ?
Trente ans après sa construction, la piste de bobsleigh de la Plagne, l'équipement le plus coûteux des JO-1992, subsiste grâce aux amateurs de grands frissons: "Une minute de descente à 120 km/h pour 128 euros, ça vaut le coup", dit Jérôme, 32 ans, en attendant son baptême.
Le site a failli fermer, "le modèle économique a été difficile à trouver", mais la dynamique commerciale notamment liée aux descentes de touristes finance en partie le coût d'exploitation, selon Bruno Thomas, le directeur de la piste, lui-même ancien membre de l'équipe de France de bobsleigh.
Selon lui, les équipements hérités de l'événement olympique --le dôme aménagé en médiathèque, le parc surplombé d'un mât symbolisant l'axe du monde, l'ancienne halle olympique qui accueille un petit musée dédié, l'anneau de vitesse reconverti en stade, le centre hospitalier-- sont "de vrais atouts en termes d'attractivité", même si "un peu surdimensionnés" pour une ville de 18.000 habitants.
Les Jeux de 1992 ont aussi laissé un souvenir puissant, marqué par la cérémonie d'ouverture chorégraphiée par Philippe Decoufflé, une mise en scène époustouflante en rupture avec des défilés jusque-là très formels. Deux milliards de téléspectateurs ont vu Michel Platini porter la torche dessinée par Philippe Stark, avant les épreuves réunissant 2.152 sportifs et 8.647 bénévoles.
- "Aventure" -
Une "aventure extraordinaire", résume Jean-Claude Killy, coprésident du comité d'organisation JO-1992 et triple champion olympique de ski alpin en 1968 à Grenoble.
Pour Michel Barnier, son coéquipier politique dans l'aventure, cette quinzaine "magique" a permis de "gagner 30 ou 40 ans en termes d'infrastructures".
L'association de protection des montagnes "Mountain Wilderness" estime cependant qu'il faut "repenser les Jeux", parce que le "modèle de méga-manifestation planétaire hivernale est obsolète", avec son cortège "de gaspillages énormes, d'artificialisation des terres sauvages, parfois de désastres environnementaux".
Différents économistes ont aussi analysé "les erreurs et les biais" des études d'impact des JO, exprimant un "fort scepticisme" sur les "retombées économiques mirobolantes présentées aux médias et au public", selon un essai publié en 2012 par Wladimir Andreffi, président de l'association internationale des économistes du sport.
- Facture -
En 1992, la facture globale des Jeux s'est élevée à 1,7 milliard d'euros avec un déficit d'environ 45 millions comblé à 75% par l'Etat et 25% par le département. La taxe d'habitation d'Alberville a augmenté de 40% entre 1990 et 1993. Mais "le bilan financier est amorti aujourd'hui" et la ville "ne fait que bénéficier de l'éclairage médiatique" des Jeux, selon son maire.
Le musée "Tremplin 92" aménagé dans la halle olympique détaille le poids de l'industrie du ski dans la région Savoie-Mont Blanc: 110 stations, 1.727 remontées mécaniques, 33 millions de journées de ski alpin en 2019 et 56.000 emplois touristiques salariés dans le privé.
L'exposition évoque aussi les "limites de l'expansion" et du modèle actuel: un "défi à relever" face au changement climatique, "hausse des température sur de longues périodes de référence, recul des glaciers, érosion du manteau neigeux" dans les montagnes.
Selon les projections du CNRS, les Alpes verront, d'ici à 2050, une augmentation des températures moyennes annuelles de 1,5 à 2,5 degrés, avec une épaisseur de neige moyenne se rapprochant de zéro en dessous de 1.500 mètres d'altitude.
- "Coup de chaud" -
Comparé aux JO-1968 de Grenoble, "l'épreuve de saut qui a eu lieu à Saint-Nizier, à 1300 mètres d'altitude, ne serait plus possible de nos jours", souligne Bernard Francou, chercheur en géosciences et auteur de "Coup de chaud sur les montagnes".
Aussi, l'avenir inquiète moins en altitude, dans les grandes stations comme La Plagne, Val d'Isère ou Méribel.
"Dans cent ans, on skiera encore à la Plagne... il y aura des périodes brèves de chute de neige mais comme il y a des moyens de production en termes de neige de culture, on skiera", estime Jean-Luc Bloch, le maire de La Plagne-Tarentaise.
"Si on refait des Jeux d'hiver en France, il faut les faire sans gaspiller d'argent et d'énergie", insiste Bernard Francou. "Il faut penser différemment, être à l'écoute des phénomènes naturels, ne pas croire qu'on va s'en tirer avec la neige de culture."
L'ammoniaque à l'origine utilisé pour refroidir la piste de bobsleigh de La Plagne a été remplacé par de l'eau glycolée après une fuite et le toboggan a été couvert pour protéger la glace.
L'ancien directeur de la piste de la Plagne Alain Bessard rêve, lui, de "vrais Jeux d'hiver", loin du 100% artificiel. Après la Russie et la Corée du Sud, ses 30 ans d'expérience lui ont valu une invitation à Pékin comme conseiller technique. Son grand regret: les Chinois ont conservé l'ammoniaque pour la réfrigération.
(V.Sørensen--DTZ)