Corée du Sud: les hôpitaux perturbés par les démissions massives d'internes
Les hôpitaux de Corée du Sud sont fortement perturbés mercredi en raison de l'amplification de la fronde des internes, dont plus de 8.800 - soit 71% du total - ont démissionné pour protester contre une réforme destinée à admettre plus d'étudiants en faculté de médecine, selon des données officielles et des informations des médias locaux.
Selon le vice-ministre de la Santé Park Min-soo, 7.813 internes ne se sont pas présentés à leur travail mercredi, soit cinq fois plus que lors du premier jour du mouvement lundi, bien que le gouvernement, qui qualifie cette action d'illégale, leur ait intimé l'ordre de regagner les hôpitaux.
"La vocation première des professionnels de la santé est de protéger la santé et la vie des gens, et toute action collective qui menace cette mission est injustifiable", a déclaré M. Park.
Les internes sont un rouage essentiel des hôpitaux sud-coréens. Selon l'agence de presse Yonhap, les cinq principaux hôpitaux du pays ont annulé mercredi 50% des interventions chirurgicales programmées. Les réseaux sociaux sont inondés de récriminations de patients laissés sur le carreau.
Un groupe de patients atteints de maladies graves, dont le cancer et la sclérose latérale amyotrophique, a fait savoir dans un communiqué à l'AFP que ses membres vivaient des "journées terriblement douloureuses". "Nous sommes désespérés à chaque minute, chaque seconde qui passe. Les patients gravement malades doivent être immédiatement soignés", ont-ils dit.
- Opérations et chimios reportées -
Hong Jae-ryun, un quinquagénaire de Daegu (sud) atteint d'un cancer du cerveau, a raconté à l'AFP que sa chimiothérapie avait été reportée sine die alors que des métastases ont déjà gagné ses poumons et son foie.
"C'est absurde. Que peuvent dire les patients impuissants coincés au milieu du conflit entre le gouvernement et les médecins ? J'ai l'impression d'être trahi", s'est-il plaint.
Le président sud-coréen Yoon Suk Yeol s'est dit déterminé à faire passer la réforme, qui vise à augmenter de 65% le nombre d'étudiants admis dans les facultés de médecine, soit 2.000 personnes de plus par an, à partir de 2025.
Selon lui, cette mesure est nécessaire pour préparer le pays à prendre soin d'une population de plus en plus âgée. Environ 44% des Sud-Coréens auront plus de 65 ans en 2050, d'après les projections gouvernementales.
La Corée du Sud ne compte que 2,6 médecins pour 1.000 habitants, selon l'OCDE, contre une moyenne de 3,7 parmi les 37 pays membres de cette organisation de pays développés. Et le gouvernement calcule qu'il manquera 15.000 médecins pour faire face aux besoins du pays à l'horizon 2035 si rien n'est fait.
Les médecins, eux, sont farouchement opposés au projet, estimant qu'admettre plus d'étudiants dans les facultés de médecine se traduira par une baisse du niveau des futurs praticiens, et que la qualité des soins s'en ressentira.
- Inflation de procès -
De plus, selon eux, la réforme ne s'attaque pas aux vrais problèmes du système de santé sud-coréen, comme la pénurie de spécialistes dans certains domaines (pédiatrie et cardiologie notamment, alors que les étudiants se bousculent en chirurgie esthétique et en psychiatrie) et l'inflation de procès pour erreur médicale intentés par des patients.
Le gouvernement devrait proposer des mesures pour "réduire la charge juridique" en cas d'"accidents médicaux incontrôlables", a estimé l'Association coréenne des internes résidents, l'organisation à l'origine de la grève.
Mais les partisans de la réforme soupçonnent les médecins de vouloir surtout préserver leurs revenus - conséquence de la pénurie de praticiens, ils sont parmi les mieux payés du monde - et leur statut social prestigieux, lié aux critères de sélection extrêmement élevés pour entrer en faculté de médecine.
Selon un récent sondage de l'institut Gallup coréen, plus de 75% des personnes interrogées sont en faveur de la réforme.
"S'opposer à l'augmentation des admissions en faculté de médecine pour s'assurer une plus grande rentabilité en réduisant la concurrence lorsque, plus tard, ils ouvriront leur propre cabinet, a peu de chances de recueillir le soutien de l'opinion publique", résume pour l'AFP Kim Jae-hon, secrétaire général d'une association qui milite pour la gratuité des soins.
L'AFP a contacté plusieurs médecins internes qui ont démissionné, mais tous ont déclaré qu'ils n'accordaient pas d'entretiens individuels.
(A.Nikiforov--DTZ)