UE : cinq ans après la vague verte, déroute annoncée pour les écologistes
Après une arrivée en force il y a cinq ans, le nombre d'eurodéputés écologistes pourrait diminuer d'un tiers, illustrant la dilution des préoccupations environnementales et l'avenir incertain d'un Pacte vert devenu épouvantail qu'ils appellent à sauver et à étoffer.
En 2019, 72 élus Verts (dont 25 Allemands et 12 Français) entraient au Parlement européen, niveau record qui en faisait le quatrième groupe politique, après une campagne dominée par les marches de jeunes pour le climat, incitant Bruxelles à lancer un ambitieux paquet de législations environnementales.
Beaucoup ont été adoptées. Pour autant, les Verts ne devraient pas en profiter lors du scrutin, de jeudi à dimanche, où quelque 370 millions d'électeurs sont appelés aux urnes: les sondages leur prédisent à peine 40 sièges sur un total de 720 eurodéputés, et en France, ils ne sont même pas assurés d'atteindre les 5% leur permettant de conserver des élus.
Guerre en Ukraine, crise énergétique, fièvre inflationniste, colère agricole... Si 84% des Européens jugent nécessaires les législations de l'UE pour protéger l'environnement, selon un récent Eurobaromètre, l'écologie ne s'impose plus en tête des préoccupations, détrônée par l'économie, le chômage, la défense et sécurité.
"La question environnementale reste prégnante, mais plus assez fortement pour déterminer le vote (...) Le résultat électoral sera un signal politique, avec le risque d'interpréter la faiblesse des Verts comme un rejet de la politique climatique en général", avertit Phuc-Vinh Nguyen, chercheur de l'institut Jacques Delors.
-"Décrédibilisation"-
"Il y a eu une décrédibilisation de l'agenda écologique par la rhétorique du PPE (droite, premier groupe au Parlement)", qui posait "le dilemme d'un choix entre l'économie et l'environnement", indique à l'AFP Nathalie Brack, politologue à l'Université libre de Bruxelles.
Socialistes, libéraux et PPE "ont initialement soutenu le Pacte vert quand c'était politiquement coûteux de s'y opposer, avant de virer de bord quand ce n'était plus électoralement porteur et qu'on rentrait dans le dur de la transition", en particulier touchant l'agriculture, déplore Philippe Lamberts, président du groupe Verts.
Les Verts ont vu leur influence limitée au Parlement: ils ne s'étaient pas associés à la coalition majoritaire PPE/sociaux-démocrates/libéraux, au sein de laquelle sont négociés et adoptés la plupart des textes, et qui s'était entendue en 2019 pour adouber la conservatrice Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne.
Les écologistes paient aussi leur participation à des coalitions gouvernementales dans six Etats membres, qui les ont poussés à des compromis pragmatiques.
En Allemagne, les "Grünen" sont crédités de 14% des suffrages, contre 20,5% en 2019, critiqués par des militants pour avoir accepté la réouverture de centrales à charbon et l'importation massive de gaz liquéfié après l'invasion de l'Ukraine.
-"Force d'équilibre"-
Les Verts misent pour mobiliser leurs électeurs sur la montée en puissance attendue de l'extrême droite, dont les deux groupes, ECR et ID, devraient les dépasser en nombre d'eurodéputés, et l'avenir du Pacte vert, dont plusieurs textes prévoient des clauses de révision ou devront être adaptés après la fixation d'objectifs climatiques 2040.
Après avoir contribué depuis un an à édulcorer ou à rejeter plusieurs législations vertes, le PPE, favori des élections, réclame ouvertement une "pause" des textes environnementaux pour se concentrer sur la compétitivité.
"Un détricotage partiel du Pacte vert pourrait être évité avec une +grande coalition élargie+ regroupant Verts, sociaux-démocrates, libéraux et PPE", où les Verts accepteraient de soutenir la reconduction de Mme von der Leyen à la tête de l'exécutif européen "en échange de garanties" sur l'ambition climatique, estime Phuc-Vinh Nguyen.
Alors que les droites radicales et nationalistes pourraient, en nombre cumulé d'eurodéputés, dépasser le PPE, Ursula von der Leyen n'a pas exclu de travailler avec la cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni et son parti post-fasciste Fratelli d'Italia pour verrouiller une majorité.
Un pari périlleux puisque socialistes, libéraux mais également Verts ont rejeté toute forme de coopération avec l'extrême droite. Dans cette configuration, les Verts pourraient "faire office de force d'équilibre", juge Phuc-Vinh Nguyen.
La cheffe de file française Marie Toussaint s'est dite prête à constituer "une majorité alternative" en cas de "risque réel" d'alliance comprenant l'extrême-droite: difficile cependant d'avoir une telle majorité sans le PPE, désormais très frileux sur le Pacte vert.
Or, si les trois partis centraux conservent combinés la majorité dans l'hémicycle, avertit Mme Brack, le PPE pourrait refuser tout engagement sur l'environnement et des "coalitions alternatives" seraient construites si nécessaires au cas par cas, selon les textes.
(V.Sørensen--DTZ)