Entre déscolarisation et écoles délabrées, le sombre avenir des petits Soudanais
C'est la rentrée scolaire mais Zahra Hussein, neuf ans, s'occupe des tâches ménagères à la maison. Comme des millions de petits Soudanais, elle a dû quitter l'école car ses parents ne pouvaient pas payer ses frais de scolarité.
En CP, "j'étais la troisième de la classe", raconte fièrement la fillette à l'AFP dans sa maison du village d'Ed Moussa, dans l'Etat oriental de Kassala.
Deux ans plus tard, elle est même parvenue à se hisser à la première place malgré les difficiles conditions d'apprentissage, entre les murs fissurés, les tables branlantes et les sanitaires souvent privés d'eau de son école.
Mais en plein CE2, elle a dû tout arrêter.
"Mon père n'avait plus assez d'argent donc il m'a retirée de l'école", explique-t-elle, dépitée.
Au Soudan, sept millions d'enfants ne vont pas à l'école, particulièrement dans les zones rurales où vivent près de deux tiers des 45 millions d'habitants, une "catastrophe pour toute une génération", estiment des ONG.
Déjà durant les 30 ans de dictature d'Omar el-Béchir, destitué à la suite d'un mouvement de contestation populaire en 2019, les familles retiraient leurs enfants de l'école pour faire face à la crise économique.
Le marasme politique et économique né d'un putsch il y a un an, les conflits ethniques récurrents et les fermetures prolongées des écoles du fait de la pandémie de Covid-19 n'ont fait qu'aggraver la situation dans ce pays, l'un des plus pauvres au monde.
Et chaque année, des pluies diluviennes détruisent des écoles: cet été, 600 établissements ont été endommagés.
Résultat: le Soudan et ses 12,4 millions d'élèves arrivent à la deuxième place des pays dont le système scolaire est le plus fragile, d'après le classement du Risk Education Index.
"A 10 ans, sept enfants sur dix sont incapables de lire et comprendre une phrase simple", déplore Arshad Malik, directeur de l'ONG Save the Children au Soudan.
Symbole de la détresse qui gagne jusqu'aux enseignants, ces derniers manifestent régulièrement pour réclamer de meilleurs salaires ou dénoncer un pouvoir militaire incapable de relever le pays.
- Sans repas, pas d'école -
Zahra le sait, elle ne retournera "à l'école que si nous trouvons l'argent pour payer les repas et les livres scolaires".
Dans le village voisin du sien, à Wad Charifaï, les cantines scolaires ont fermé il y a deux ans alors qu'elles assuraient souvent l'unique repas par jour des enfants, fait de lentilles, de légumes et de biscuits.
Depuis que ces repas gratuits ont disparu, Othmane Aboubakr, travailleur journalier, a dû déscolariser sept de ses neuf enfants.
Incapable de payer les repas en plus du transport et des fournitures scolaires, il a choisi une autre option: faire travailler les plus âgés.
"Maintenant les enfants peuvent aider à ramener de l'argent à la maison", dit-il.
Abdallah Ibrahim envoie lui aussi plusieurs de ses sept enfants travailler.
Certains l'aident dans son café, tandis que d'autres ont trouvé un emploi dans une boulangerie.
"Faire travailler les enfants n'est pas bien mais on est obligés, au moins pour payer leurs repas chaque jour", dit Ohaj Souleïmane, journalier de 43 ans.
Mais tous les enfants ne sont pas égaux face à la déscolarisation, souligne M. Malik, de Save the Children.
"Une famille aura plus tendance à retirer ses filles de l'école pour les marier ou les faire participer aux tâches domestiques", explique-t-il.
Selon lui, quatre filles sur 10 ont quitté l'école contre trois garçons sur 10.
Sans action pour les rescolariser, "la pauvreté et les inégalités risquent de s'aggraver et avec elles la vulnérabilité des familles face au changement climatique et aux catastrophes naturelles", prévient M. Malik.
Et ce dans un pays où, selon l'ONU, un tiers des habitants souffrent déjà de faim.
(Y.Ignatiev--DTZ)