Pour des cadres de Sephora, un parfum de discrimination post-grossesse
"C'était comme si je n'existais plus". Chez Sephora, chaîne de magasins de parfums et cosmétiques employant une écrasante majorité de femmes, deux cadres racontent à l'AFP avoir subi des discriminations au retour de leur grossesse. Des pratiques que réfute l'enseigne du groupe LVMH.
"Dès l'annonce de ma grossesse, les relations se sont dégradées", relate Sandra (prénom d'emprunt), rencontrée au cabinet de son avocat Me Avi Bitton, avec qui elle a saisi les prud'hommes pour discrimination liée à la grossesse et harcèlement moral en mai.
Mère de deux enfants et cheffe de projets au siège de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), cette cadre de 39 ans est en arrêt maladie depuis la fin de son congé maternité en septembre 2023.
Chez Sephora, environ 300 congés maternité et 240 congés parentaux sont pris chaque année en France, selon un rapport de 2023.
La parentalité y est citée comme "l'une des premières causes d'absence" dans cette entreprise où 70% des cadres du siège à Neuilly sont des femmes – elles représentent 90% de l'ensemble des salariés de Sephora au niveau national.
Salariée depuis 2017, Sandra affirme que l'annonce de sa grossesse a été le point de départ d'une série d'"humiliations" qui l'ont conduite jusqu'au burn-out.
"Ils ne m'ont pas dit +ta grossesse nous embête+ mais tout est arrivé juste après l'annonce", se remémore-t-elle, encore ébranlée.
"Je me suis demandée à quel moment j'avais raté quelque chose, si j'étais si mauvaise que ça. J'ai fait beaucoup de crises d'angoisse", témoigne la trentenaire.
- Burn-out -
La deuxième cadre, qui a requis l'anonymat, relate avoir eu vent qu'une restructuration de son service était en cours en fin de congé maternité, début 2022. Au retour, "ils m'ont mise au placard, mon N+2 ne me calculait pas, c'est comme si je n'existais plus", se souvient-elle.
"Quand ça fait douze ans qu’on est dans une boîte, que du jour au lendemain on n'est plus rien, plus les hormones, plus les antidépresseurs... Ca a été une période que je ne souhaite à personne", témoigne-t-elle.
Selon une étude de l'Association pour l'emploi des cadres, 44% de celles qui ont eu un congé maternité déclarent avoir rencontré des difficultés pour retrouver leur place à leur ancien poste.
Les femmes cadres "ont souvent le sentiment que (la grossesse) va être une mauvaise nouvelle à annoncer", qu'avoir un enfant constitue un "frein dans l'évolution professionnelle", commente auprès de l'AFP son directeur des études, Pierre Lamblin.
Contacté par l'AFP, Sephora indique ne pas commenter les procédures en cours mais assure que ses pratiques "bannissent toute forme de discrimination". Sur son site internet, l'entreprise se targue d'avoir obtenu un score de 95 sur 100 à l'index de l'égalité professionnelle femmes-hommes en 2023.
Pour Sandra pourtant, dès début janvier 2023, "la relation de travail s'est totalement modifiée, au point de devenir intenable", détaille sa requête de saisine du conseil des prud'hommes de Nanterre.
En mars, elle reçoit pour la première fois une évaluation négative et apprend que sa demande de mobilité dans le groupe LVMH, validée avant sa grossesse, est retoquée.
Peu avant la fin de son congé maternité en septembre 2023, sa hiérarchie lui annonce qu'elle prendra à son retour un nouveau poste à moindres responsabilités.
Puis en janvier 2024, après plusieurs signalements qui n'ont pas reçu de réponse, selon elle, un psychiatre lui diagnostique un burn-out.
Le cas de Sandra est "assez typique: avant (l'annonce), vous avez des promotions, une absence de reproches, puis (...) une absence de mobilité, des mauvaises évaluations", commente Me Bitton, qui intervient depuis 20 ans dans ce genre de dossiers.
Contactés par l'AFP, les élus du syndicat CGT disent avoir accompagné la cadre anonyme "mise de côté" à son retour en entreprise, sans être saisis d'autres dossiers.
Mais si peu de témoignages remontent, c'est notamment parce qu'au siège, où les cadres sont nombreux, la culture syndicale est peu développée, glisse l'un d'entre eux sous couvert d'anonymat.
Dans le cas de Sandra, une tentative de conciliation a eu lieu en octobre mais sans succès, ouvrant la voie à une audience qui n'aura pas lieu avant fin 2026.
Elle demande désormais à la justice de "rompre le contrat de travail aux torts de l'employeur", précise son autre avocate, Me Laetitia Lencione. Et de condamner Sephora à lui verser plus de 120.000 euros d'indemnités.
(V.Sørensen--DTZ)