Le plus grand producteur de vin indien en quête de millions à la Bourse
Le plus grand producteur de vin indien, Sula Vineyards, se lance sur le marché boursier, pariant sur la diversification des goûts d'une classe moyenne urbaine en plein essor, dans un pays qui privilégie depuis longtemps les spiritueux.
"L'heure du vin a sonné", insiste Rajeev Samant, fondateur et PDG de Sula Vineyards.
Lorsque ce diplômé de l'université de Stanford est rentré de Californie, il a d'abord essayé de cultiver des roses et des mangues sur les terres familiales, près de Nashik, une vieille cité sainte, à environ 160 kilomètres du centre financier de Bombay.
"Là où se trouve Sula aujourd'hui, il n'y avait que des prairies. Il y avait des léopards et des serpents. Il n'y avait pas d'électricité, pas de ligne téléphonique", comme un siècle auparavant, raconte M. Samant à l'AFP.
"J'ai vu une certaine beauté ici, quelque chose dans ce lieu qui m'a vraiment captivé", dit-il.
Marqué par ses visites dans la région viticole de la Napa Valley, en Californie, M. Samant a décidé de "produire un vin décent et buvable ici même en Inde".
L'Inde est l'un des plus grands producteurs de raisins au monde et Nashik l'une de ses régions clés, mais à l'époque, la production était constituée uniquement de raisins de table pour la consommation et de raisins secs, plutôt que de raisins de cuve.
Le vin représente moins d'un pour cent de l'énorme marché indien des boissons alcoolisées, les spiritueux ayant la faveur dans le pays de 1,4 milliard d'habitants.
Nommé en l'honneur de sa mère Sulabha, les premiers ceps du vignoble ont été plantés en 1996, puis un vaste complexe hôtelier a été érigé dans l'espoir de faire de Nashik la capitale indienne du vin.
- Souscription prochaine -
A Bombay, l'homme d'affaires Parimal Nayak a séjourné dans le vignoble avec sa famille pour célébrer son 44e anniversaire. "Les vins Sula se sont beaucoup améliorés (...) et l'ambiance est agréable", selon lui.
La consommation de vin en Inde, négligeable en 1995, a augmenté avec les femmes actives qui se sont mises à en boire, mais les volumes ne représentaient encore que 20 millions de litres l'année dernière, selon l'Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV).
Les revenus de Sula ont connu, ces dix dernières années, une croissance annuelle moyenne de plus de 13%. Ils s'élevaient à 4,5 milliards de roupies (53 millions d'euros) avec un bénéfice net de 521 millions de roupies (6 millions d'euros) au dernier exercice.
Mercredi prochain, Sula Vineyards ouvrira la souscription de son introduction Bourse, visant à céder environ un tiers de parts de la société qui pourrait rapporter jusqu'à 9,6 milliards de roupies (110 millions d'euros) et la valoriserait à environ 333 millions d'euros.
M. Samant, 55 ans, prévoit de vendre environ 5% de sa participation de 27%.
Mais plusieurs introductions en Bourse récentes ont échoué - comme la société du paiement en ligne Paytm qui a perdu les trois quarts de sa valeur depuis son introduction en Bourse il y a un an - étant surévaluées selon les analystes.
L'ancien pionnier du vin Indage Vintners s'est retiré de la cote en 2011 accusant des dettes et des problèmes de trésorerie.
- "Le dernier verre de vin" -
Dans son prospectus d'introduction en Bourse, Sula a mis en garde contre le risque de "conditions climatiques défavorables" affectant la qualité du raisin.
Les agriculteurs de Nashik signalaient déjà des inondations et des sécheresses il y a près de dix ans, rappelle Prutha Vaze, responsable du programme climatique du World Resources Institute India, basé à Bombay.
Des températures moyennes plus élevées accélèrent le mûrissement des raisins, accompagné d'une baisse de l'acidité, d'une augmentation des sucres et par conséquent du taux d'alcool dans le vin.
Ces changements ont une incidence sur l'équilibre délicat des saveurs. Si les producteurs ne s'adaptent pas à l'évolution du climat, "il se pourrait qu'un jour (...) nous buvions le tout dernier verre de vin", prévient Mme Vaze.
Selon Ajit Balgi, fondateur de la société de conseil en vins et spiritueux The Happy High, basée à Bombay, les vins indiens les plus chers sont parvenus à une qualité de niveau international, même s'ils ont "un style indien".
"Ils n'ont pas le même goût qu'un vin australien ou français", dit-il, "l'Inde est trop proche de l'équateur, donc les raisins que nous choisissons sont les plus mûrs".
Les nouveaux buveurs ont tendance à préférer les vins "plus confiturés", explique-t-il, "leur première expérience du vin est celle de la sangria".
Mais Sula pourrait surtout subir la concurrence croissante des vins étrangers, qui représentent actuellement 17% du marché indien.
Un récent accord commercial avec son plus grand fournisseur, l'Australie, réduira les droits d'importation de certains vins, qui sont actuellement de 150%.
Mais, selon M. Balgi, le plus grand obstacle à l'expansion du vin indien reste son coût.
"Le prix d'un vin indien basique est comparable à celui d'une bouteille de rhum ou de whisky de base", rappelle-t-il, "la consommation de vin en Inde est faible parce que la population n'en a pas les moyens".
(M.Travkina--DTZ)