Trois compagnies pour un réseau: la LGV espagnole à fond dans la concurrence
Renfe, SNCF et désormais Iryo: à partir de vendredi, trois compagnies ferroviaires proposeront leurs services sur le réseau à grande vitesse espagnol. Une première scrutée de près en Europe, où l'ouverture à la concurrence chamboule le marché du rail.
Filiale commune du groupe italien Trenitalia (45%), de la compagnie aérienne espagnole Air Nostrum (31%) et de la société d'infrastructures Globalvia (24%), Iryo a effectué lundi son voyage inaugural, quatre jours avant le début de ses opérations commerciales.
Cette nouvelle compagnie vient concurrencer l'opérateur historique Renfe et la SNCF, présente depuis mai 2021 via sa filiale Ouigo sur le réseau à grande vitesse espagnol, le plus important d'Europe et le deuxième au monde après celui de la Chine, avec 4.000 kilomètres de voies dédiées.
L'arrivée de ce troisième opérateur "marque une étape historique" pour la grande vitesse espagnole et "pour les passagers" qui auront "le choix entre plusieurs compagnies" sur certains axes, souligne auprès de l'AFP Carlos Lérida, professeur à l'Université autonome de Madrid (UAM).
Une étape d'autant plus marquante, selon ce spécialiste du transport ferroviaire, qu'elle est "inédite" en Europe. "Jusqu'à présent, aucun réseau à grande vitesse n'a fonctionné avec trois concurrents. L'Espagne pourrait donc servir de modèle", insiste M. Lérida.
- "Démocratisation" -
Dans un premier temps, seule la ligne Madrid-Barcelone sera desservie par la filiale de Trenitalia. Mais Iryo, qui dispose de 20 trains, circulera dès la mi-décembre sur l'axe Madrid-Valence, avant de s'attaquer en mars 2023 à Madrid-Séville et Madrid-Malaga.
De quoi rivaliser directement avec la Renfe, mais aussi avec Ouigo Espagne, qui dessert déjà Barcelone et Valence, et projette de lancer des trains vers Alicante (sud-est) puis l'Andalousie (sud) dans le courant de l'année 2023.
Cette mise en concurrence "est la conséquence des contrats-cadre passés avec l'Adif", gestionnaire du réseau ferré espagnol, qui a concédé en 2019 des créneaux de circulation "pour dix ans" sur ces différents tronçons, souligne Carlos Lérida.
Une évolution encouragée par le gouvernement du socialiste Pedro Sanchez, désireux de mieux rentabiliser le réseau à grande vitesse espagnol et de faire baisser le prix des billets, jusqu'alors très élevés.
Cette "ouverture sans précédent du marché va permettre de rendre la grande vitesse accessible à un plus grand nombre de citoyens" et "d'accroître la rentabilité" du réseau LGV, a souligné lundi dans un communiqué la ministre des Transports Raquel Sanchez.
Une analyse partagée par la directrice de Ouigo Espagne, Hélène Valenzuela, qui assure que le réseau espagnol était "sous-utilisé". Pour la compagnie, qui a investi 630 millions d'euros dans son aventure espagnole, contre un milliard d'euros pour Iryo, "la prise de risque était donc limitée", insiste-t-elle auprès de l'AFP.
- "Opportunité" -
Depuis l'arrivée de Ouigo, la fréquentation a bondi de 14% sur l'ensemble du réseau, et de 47% entre Madrid et Barcelone, selon l'Adif. Le prix des billets sur ce tronçon a, lui, baissé de 25%, d'après l'autorité de la concurrence.
Face aux tarifs agressifs de Ouigo, la Renfe a diversifié son offre en lançant ses propres trains low-cost, baptisés Avlo. L'opérateur espagnol, qui souhaite se lancer sur le marché français, a par ailleurs rénové sa flotte et renforcé ses services aux usagers.
"Nous voyons l'arrivée de la concurrence comme une chance et non comme un problème", assure un porte-parole de la compagnie, qui anticipe une forte hausse de la fréquentation, avec à moyen terme "45 millions d'usagers", soit "10 millions de plus qu'aujourd'hui".
"Nos grands rivaux, ce sont l'avion et la voiture, pas les autres trains", abonde Hélène Valenzuela, pour qui la concurrence "bénéficie à toute la filière": "sur le plan technique, c'est un défi, car il faut organiser les flux dans les gares. Mais sur le plan économique, c'est une opportunité".
Dans son communiqué, la ministre des Transports a dit lundi vouloir étendre la concurrence à d'autres trajets, notamment vers la Galice (nord-ouest) et le long de la côte méditerranéenne. Il faut en outre "de la réciprocité dans les autres pays de l'UE pour élargir le marché", a-t-elle insisté.
Les compagnies nationales ont perdu leur monopole sur les lignes à grande vitesse en vertu de la libéralisation du rail mise en oeuvre par Bruxelles. Mais l'ouverture à la concurrence a pris du retard dans plusieurs pays, dont la France, en raison notamment des réticences des opérateurs historiques.
(L.Barsayjeva--DTZ)