"Est-il en vie?": la femme d'un militant saoudien incarcéré lance un cri d'alarme
La femme d'un militant saoudien en prison depuis dix ans a lancé un cri d'alarme sur le sort de son mari, après avoir perdu le contact avec lui pour la première fois depuis son incarcération.
Maha al-Qahtani, qui vit aux Etats-Unis, a accordé cette semaine à l'AFP sa première interview depuis que son époux, Mohamed al-Qahtani, a été condamné en Arabie saoudite en 2013.
"Est-ce qu'il va bien? Est-il en vie?" "J'ai gardé le silence pendant 10 ans mais maintenant, je suis à bout de patience", a-t-elle déclaré dans un entretien téléphonique.
Mohamed al-Qahtani est l'un des cofondateurs de l'Association saoudienne des droits civils et politiques, une ONG créée en 2009 pour documenter les violations des droits de l'homme et plaider pour la tenue d'élections dans le royaume, où aucune voix critique n'est tolérée.
Le militant avait été condamné à 10 ans de prison en 2013, après avoir été inculpé d'atteinte à la sûreté de l'Etat, incitation au désordre, désobéissance et non-allégeance au souverain saoudien. Son association a été dissoute la même année.
Selon une experte de l'ONU, Mary Lawlor, les autorités saoudiennes ont accusé le militant d'avoir fourni de fausses informations à des sources extérieures, notamment à l'ONU.
Mohamed al-Qahtani, âgé de 58 ans, devait être libéré le 22 novembre prochain et soumis à une interdiction de voyager pendant dix ans.
Alors que Maha et leurs cinq enfants lui parlaient tous les jours au téléphone, ils sont sans nouvelles depuis le 23 octobre.
"Il avait l'habitude de nous appeler une ou deux fois par jour depuis 10 ans", a-t-elle affirmé. "Il nous poussait à aller de l'avant et à profiter de la vie. Il n'a pas abandonné ses responsabilités de père et de mari, même en prison."
"Le fait que la communication ait été complètement rompue indique qu'il y a quelque chose de caché", a-t-elle ajouté.
Mohamed al-Qahtani est détenu à la prison d'Al-Ha'ir, un établissement de haute sécurité près de Ryad.
Selon son épouse, il s'est plaint le 10 octobre d'un codétenu qui le "surveillait partout et tout le temps" et "montait contre lui des prisonniers atteints de troubles mentaux".
Le militant a informé les autorités pénitentiaires de cette situation, sans résultat, selon son épouse. "Quoi qu'il m'arrive, ils sont responsables parce qu'ils sont au courant", avait-il dit à sa femme avant que la ligne ne soit coupée.
Depuis, Maha al-Qahtani a tenté, en vain, d'obtenir des informations sur son mari auprès des autorités saoudiennes.
- "Juste entendre sa voix" -
Souvent accusée de réprimer les dissidents, l'Arabie saoudite a été critiquée récemment pour les peines de prison très sévères infligées à deux femmes ayant relayé des messages critiques sur les réseaux sociaux.
Maha al-Qahtani est d'autant plus préoccupée qu'un autre fondateur de l'Association saoudienne des droits civils et politiques, Abdallah al-Hamid, est mort dans la même prison en 2020.
Ses proches avaient alors accusé les autorités pénitentiaires de lui avoir refusé les soins nécessaires.
Mercredi, Mary Lawlor, rapporteur de l'ONU sur la situation des défenseurs des droits humains, s'est inquiétée du sort de Mohamed al-Qahtani.
L'experte a affirmé qu'il s'était plaint d'agressions de la part d'autres détenus, mais que les autorités pénitentiaires avaient refusé sa demande de transfert.
L'association de défense des droits humains ALQST, basée à Londres, a quant à elle dénoncé une "disparition forcée".
Mohammed al-Qahtani "a déjà subi des années de punition cruelle pour son courageux militantisme, notamment des harcèlements et des mauvais traitements répétés. Il semble pourtant que les autorités sont déterminées à le punir davantage", a déclaré Lina al-Hathloul, une responsable de l'ALQST.
Sa femme espère avoir de ses nouvelles d'ici samedi, jour du dixième anniversaire de leur plus jeune fille. "S'il ne l'appelle pas comme d'habitude, je serai sûre que quelque chose de grave lui est arrivé", a déclaré Maha al-Qahtani.
"Je veux juste entendre sa voix".
(P.Vasilyevsky--DTZ)