Equateur: Guayaquil, une ville défigurée par le narcotrafic
Quartiers pris d'assaut par les gangs, carnages dans les prisons et forces de police dépassées: le trafic de drogue a transformé le port équatorien de Guayaquil, devenue nouvelle capitale du crime en Amérique latine.
La ville de 2,8 millions d'habitants, qui accueille samedi la finale de la Copa Libertadores 2022, la Ligue des Champions sud-américaine, est confrontée à une violence sans précédent qui commence dans la rue et s'étend jusque dans les prisons.
Depuis le début de l'année, 1.200 meurtres y ont été commis, soit 60% de plus que sur la même période de 2021, selon les chiffres officiels.
Le gouvernement tente de reprendre le dessus en instaurant des périodes d'Etat d'urgence pour mobiliser des troupes et a encore augmenté de plus de 1.100 les forces de sécurité, portées à 10.000 dans la ville.
Mais "aujourd'hui dans les rues on doit faire face à des fusils automatiques, des grenades, des engins explosifs. La violence a énormément augmenté", explique à l'AFP le commandant de police Luis Alfonso Merino. "Avant, on n'était pas confrontés à ça".
Situé entre la Colombie et le Pérou, les plus grands producteurs de cocaïne au monde, l'Equateur était autrefois une simple voie de transit.
Mais les trafiquants s'y sont installés, Guayaquil devenant point d'expédition de centaines de tonnes de poudre blanche vers l'Europe et les Etats-Unis.
En 2021, année record de culture (204.000 ha) et de production (1.400 tonnes) de cocaïne en Colombie, les saisies ont aussi été records en Equateur (210 tonnes).
L'Economie dollarisée du pays a attiré les convoitises des cartels mexicains qui gèrent l'ensemble de l'activité commerciale de la cocaïne, de la production à l'expédition, et profitent du manque de préparation des autorités équatoriennes face aux gangs.
- "Plus armés que la police" -
A l'entrée du quartier Socio Vivienda II, un des plus dangereux de la ville, des policiers en armes montent la garde tandis qu'une escouade d'une vingtaine d'hommes, cagoules et gilet pare-balles, parcourent à moto les ruelles où vivent quelque 24.000 habitants.
Dans une maison, où ils entrent de force, ils ne trouvent ni arme ni drogue mais trois jeunes aux bras tatoués de l'inscription "Tigueron", le nom d'un gang redouté. Pas suffisant cependant pour les arrêter.
Dans le quartier, des fusillades entre bandes rivales, apparues à partir de 2019, sont de plus en plus fréquentes et ont même contraint depuis septembre les autorités à fermer temporairement certaines écoles.
"Les bandes criminelles sont plus armées que la police elle-même", reconnait le major Robinson Sanchez, chef des opérations dans le secteur.
Le crime organisé utilise "des enfants de 10 ou 12 ans" comme sentinelles ou informateurs, selon les habitants et la police. Au fur et à mesure qu'ils grandissent, ils gagnent le droit de se faire tatouer, mais uniquement après avoir commis un crime.
Craignant que leurs enfants ne soient recrutés, certaines familles abandonnent leurs maisons. A peine parties, les gangs s'y "installent déjà", assure une responsable du quartier interrogée sous couvert d'anonymat par crainte de représailles.
Elle affirme que des voitures de luxe circulent pour déposer ou venir chercher de la drogue sous le nez même de la police.
Car le marché intérieur s'est lui aussi développé et ici et là errent des "zombies" accros à un résidu de cocaïne vendu 25 cents le gramme.
La violence s'est également installée dans les prisons du pays où 392 détenus sont morts depuis janvier 2021, la plupart dans celle de Guayaquil.
Dans ce vaste centre pénitenciaire, 122 prisonniers ont été tués en septembre 2021 au cours d'une des tueries les plus meurtrières dans les prisons d'Amérique latine.
"Ce n'est pas l'Etat qui gouverne les prisons (...) mais des organisations criminelles avec la complicité d'agents des forces de sécurité qui permettent, tolèrent et s'enrichissent avec le trafic d'armes" à l'intérieur même des prisons surpeuplées, explique Billy Navarrete, du Comité de défense des droits de l'homme.
Dans le quartier de dans Socio Vivienda II, 252 homicides ont été recensés depuis le début de l'année, contre 66 en 2021, tandis qu'à Samborondon, un secteur protégé et riche, seuls 14 meurtres ont été dénombrés, révélant une violence aussi inégale que la ville où 26% de la population vit dans la pauvreté.
Rien qu'au cours du week-end précédant la finale de la Copa Libertadores entre les clubs brésiliens de Flamengo et de l'Athletico Paranaense qui devrait attirer quelque 50.000 touristes étrangers dans un quartier de l'ouest de la ville, il y a eu 21 meurtres.
(L.Møller--DTZ)