Lanceur d'alerte ou pirate informatique, la source des "Football Leaks" à la barre
Lanceur d'alerte à l'origine des révélations des "Football Leaks", le Portugais Rui Pinto doit commencer lundi matin à témoigner au tribunal de Lisbonne où il est jugé pour piratage informatique et tentative d'extorsion.
Mise à part une brève déclaration lue à l'ouverture de son procès, en septembre 2020, c'est la première fois que l'homme qui a fait trembler le monde du foot-business prendra la parole devant ses juges.
Dernière étape avant les plaidoiries finales, son interrogatoire ouvre la voie à la conclusion du procès mais il risque de se poursuivre pendant plusieurs séances.
Depuis qu'il a accepté de coopérer avec les autorités dans d'autres affaires, le Portugais de 33 ans, qui a passé plus d'un an en détention provisoire à la suite de son arrestation en Hongrie en janvier 2019, est à la fois prévenu et témoin protégé.
"Rui Pinto a changé radicalement et coopère de façon effective et pertinente", en permettant aux autorités d'accéder à une masse de données chiffrées contenant des documents inédits en sa possession à Budapest, a témoigné le directeur national de la police judiciaire, Luis Neves, entendu par le tribunal en mai 2021.
À cette occasion, le chef de la police criminelle a même critiqué "le cynisme et l'hypocrisie" du système judiciaire portugais, qui ne prévoit pas de statut de repenti et ne récompense pas la délation.
- "Rien fait pour l'argent" -
Rui Pinto répond ainsi de 89 faits de piratage informatique, qui vont de la violation de correspondance au vol de données et qu'il aurait commis contre le fonds d'investissement Doyen Sports, le club Sporting Portugal, la Fédération portugaise de football, un important cabinet d'avocats et même des magistrats du parquet général de la République.
Il est également jugé pour tentative d'extorsion, crime passible d'une peine comprise entre deux et dix ans d'emprisonnement.
Selon l'accusation, le "hacker" présumé aurait voulu faire chanter le patron de Doyen, le Portugais Nélio Lucas, en lui réclamant entre 500.000 et un million d'euros pour cesser de publier sur internet des documents compromettants pour ce fonds basé à Malte et contrôlé par une fratrie d'oligarques kazakho-turcs.
"J'ai été indigné par ce que j'ai découvert et j'ai décidé de le rendre public. (...) Je n'ai jamais rien fait pour l'argent", s'est défendu Rui Pinto à l'ouverture du procès.
À partir de 2016, sous le pseudonyme de "John", il a confié des millions de documents à un consortium de médias européens qui a dévoilé des mécanismes d'évasion fiscale, des soupçons de fraude et de corruption mettant en cause certains des plus grands clubs et joueurs du football mondial.
- "Intérêt public indéniable" -
Ces révélations ont conduit à des redressements fiscaux et à l'ouverture de procédures judiciaires dans plusieurs pays d'Europe. Actuellement, Rui Pinto coopère aussi avec les autorités françaises.
Le Portugais est également à l'origine des "Luanda Leaks", une enquête publiée en janvier 2020 accusant la femme d'affaires angolaise Isabel dos Santos, fille de l'ex-président José Eduardo dos Santos, d'avoir accumulé de manière frauduleuse une fortune estimée à presque 2 milliards d'euros.
"Indépendamment des responsabilités qui lui seront attribuées par le tribunal, ses révélations sont d'un intérêt public indéniable, pour le Portugal et le monde entier", fait valoir Ana Gomes, une ancienne eurodéputée socialiste devenue une proéminente militante anti-corruption.
"La première fois que je l'ai rencontré, en prison, je l'ai trouvé très révolté par tout ce qui lui arrivait. Puis, la dernière fois que je l'ai vu, je l'ai trouvé plus apaisé et fier de son parcours", raconte-t-elle à l'AFP.
Placé dans un programme de protection de témoins, Rui Pinto mène une existence secrète mais s'autorise à commenter l'actualité sur son compte Twitter, surtout quand il s'agit de polémiques mêlant football et argent.
(P.Tomczyk--DTZ)