L'avortement aux Etats-Unis: un droit étendu, une réalité très contrastée
La Cour suprême doit rendre d'ici à la fin du mois une décision sur l'avortement qui pourrait renvoyer le pays 50 ans en arrière. Etat des lieux du droit et de la pratique avant cet arrêt très attendu.
- La règle
En l'absence de loi fédérale, la Cour suprême des Etats-Unis a déclaré en 1973 dans son arrêt "Roe v. Wade" que la Constitution garantissait le droit des femmes à interrompre une grossesse, faisant tomber les interdictions alors en vigueur dans plusieurs Etats.
Ce droit existe tant que le foetus n'est pas viable, soit vers 22 semaines de grossesse, a précisé la Cour en 1992, allant au-delà de la limite de 12 semaines fréquemment retenue dans le reste du monde.
Les Etats conservent le droit de légiférer pour protéger la santé des femmes, tant qu'ils ne leur infligent pas "un fardeau injustifié", a-t-elle ajouté à cette occasion.
Ce cadre légal pourrait, selon un projet d'arrêt qui a fuité en mai, être totalement remis à plat. "Roe était totalement infondé dès le début", "il est temps de respecter la Constitution et de rendre le sujet de l'avortement aux élus du peuple", selon ce document.
Anticipant ce revirement, treize Etats ont adopté des lois dites "zombies" ou "gâchette" pour interdire les IVG, qui entreront en vigueur quasi automatiquement si la Cour enterre Roe.
- Patchwork
Sans attendre la décision finale, les Etats conservateurs ont joué du flou autour des termes "fardeau injustifié" pour multiplier les restrictions, forçant de nombreuses cliniques à mettre la clé sous la porte. En Virginie occidentale (est) ou dans le Mississippi (sud), il ne reste qu'un seul centre pratiquant des interruptions de grossesse, alors que la Californie en a plus de 150.
Certains Etats imposent aussi des contraintes aux patientes: obligation d'avoir une autorisation parentale pour les mineures, d'entendre les battements de coeur de l'embryon...
Depuis le 1er septembre, grâce à un tour de passe-passe juridique, le Texas interdit tous les avortements dès six semaines de grossesse.
Autre inégalité: l'argent. Une dizaine d'Etats interdisent aux assurances médicales privées de rembourser les avortements, tandis qu'une quinzaine puisent dans leurs fonds propres pour payer les IVG des femmes aux faibles revenus.
- Pauvres et minorités
Plus de 930.000 avortements ont été recensés en 2020 aux Etats-Unis, selon les dernières statistiques de l'Institut Guttmacher qui a constaté un rebond récent des IVG après 30 ans de baisse continue.
Ce chiffre correspond à un taux de 14,4 avortements pour 1.000 femmes en âge de procréer. Il est du même ordre de grandeur que dans le reste des pays riches.
Près de 50% des femmes ayant recours à une interruption de grossesse vivent sous le seuil de pauvreté et les femmes noires et hispaniques sont surreprésentées (29% et 25% respectivement).
D'après les Centres de prévention et de lutte contre les maladies (CDC), 92.2% des avortements ont lieu au premier trimestre.
- Une opinion divisée
Plus de 60% des Américains considèrent que l'avortement doit rester légal dans tous ou presque tous les cas, à un niveau relativement stable depuis quelques années, selon un sondage du Pew Research Center.
Mais il existe d'énormes différences en fonction des convictions politiques: 80% démocrates sont de cet avis, contre 35% des républicains. Et l'écart se creuse: ces chiffres étaient respectivement de 72 et 39% en 2016.
Les convictions religieuses pèsent également beaucoup: 77% des évangéliques blancs jugeant que l'avortement devrait être illégal dans la majorité des cas.
- L'offensive conservatrice
Lors de la campagne présidentielle de 2016, Donald Trump avait conquis les électeurs de la droite religieuse en promettant de nommer à la Cour suprême des juges partageant leurs valeurs, et notamment prêts à renverser l'arrêt "Roe v. Wade".
Pendant son mandat, le républicain a pu nommer trois sages sur neuf. Leur arrivée a galvanisé les élus locaux républicains qui ont multiplié les lois défiant ouvertement le cadre fixé par la Cour suprême dans le but de lui fournir une occasion de revenir en arrière.
Cette stratégie semble sur le point de porter ses fruits.
(U.Kabuchyn--DTZ)